Dix heures, onze heures du matin. Ce sont généralement des heures d’arrivée au service des travailleurs de la fonction publique. L’absentéisme chronique et l’abandon de poste sont entre autres des maux qui gangrènent l’administration publique guinéenne. Ce qui évidemment affecte le travail et fait pâtir la qualité et la continuité du service public. Dans la fonction publique donc, l’absentéisme et les retards sont non seulement des facteurs de désorganisation mais représentent un coût considérable pour l’État. Depuis des décennies, l’administration guinéenne est confrontée à l’absentéisme et au non-respect des horaires de travail des fonctionnaires si bien que la présence devient l’exception et l’absence, la règle.
Or ce fléau, notons-le, a des conséquences socio-économiques non négligeables. Non seulement, un surcroît de tâches est observé chez les fonctionnaires assidus et ponctuels, mais également l’efficacité et la qualité des prestations souffrent cruellement car les dossiers sont soit laissés à l’abandon, soit bâclés à la dernière minute. A côté, les prestations sollicitées, rarement satisfaites dans le temps, entraînent le mécontentement des usagers qui finissent par discréditer l’administration publique. Mais chose encore plus importante, la faible productivité des fonctionnaires qui en découle, comparativement à la charge qu’ils représentent pour le budget de l’Etat, suffit pour dire que l’absentéisme est un phénomène nuisible à l’économie, un véritable frein à tout développement durable.
En vue de booster l’élan au travail et de réduire le taux d’absentéisme dans l’administration, le Président de la République, le Pr Alpha Condé a décidé de prendre le taureau par les cornes ces derniers temps en effectuant des visites surprises dans les départements ministériels et en adoptant de nouvelles mesures.
Il faut le dire sans risque de se tromper, la fonction publique guinéenne n’est en réalité qu’une vache à lait où tous les Guinéens s’abreuvent chaque fin du mois. Les morts, les détenteurs de faux diplômes, les désœuvrés, les vagabonds, les ménagères, les revendeurs, les femmes du marché Avaria, les danseurs, les tapeurs de tam-tams et de balafons, les Guinéens vivant à l’extérieur, même ceux qui évoluent dans le privée, émargent tous à la fonction publique. Tous les départements ministériels ont chacun leurs lots de fonctionnaires fictifs. Ceux qui sont physiquement connus arrivent rarement au bureau. Et quand ils décident de s’y rendre, c’est à l’heure voulue. Ils arrivent au service à 11 heures pour repartir à 14 heures. Les travailleurs de la fonction publique font semblant de travailler. Ils prennent les salaires sans effectuer un travail. Ainsi, à partir du 15 du mois, les services sont désertés. Aucune loi, aucune décision n’a jusqu’ici ébranlé ces fossoyeurs des caisses de l’Etat. Ils pillent le pays avec la complicité de certains cadres de l’administration. Les campagnes de sensibilisation, les décisions, les mesures prises pour contrer ce fléau qui gangrène l’administration sont sans effets. La preuve. En 2012, le gouvernement avait décidé de doter les ministères et autres services publics des pointeuses électroniques pour détecter les absences, les retards et énumérer les présences. Ces appareils sophistiqués n’ont jamais eu des résultats escomptés. Les nombreux recensements biométriques organisés par les différents gouvernements depuis plus de trois décennies, ont tous essuyé un échec. Les travailleurs de la fonction publique ont érigé le retard, l’absentéisme et l’abandon du poste en règle. Le Chef de l’Etat lui-même s’en est rendu compte lors de ses dernières visites dans certains départements ministériels. Pourquoi ? Les fonctionnaires guinéens sont-ils culturellement paresseux ou bien profitent-ils du laxisme des autorités ?
Des réformes et de la modernisation de l’administration publique
A cette question on nous apprend au ministère de la Fonction Publique que les réformes continuent et qu’elles ont apporté beaucoup de changement. « Les réformes continuent ! Elles n’ont pas de limites ! Vous savez les réformes, les modifications, les changements, les mises jours sont liés à toute activité humaine. Le ministère est resté fidèle à la politique du Chef de l’Etat : la réforme et la modernisation de l’administration publique. Nous y attelons et le ministère intervient à chaque fois que c’est nécessaire. Aujourd’hui, le département a mis en place six commissions dont les membres sillonnent les ministères. Ces commissions ont pour mission de contrôler les absences, les présences et remonter les informations. Des mesures sont prises contre les absences, les abandons de postes et des cas de doublons », nous apprend Baba Kouyaté, le chargé de la communication du ministère de la Fonction Publique.
Pour ce qui concerne le recensement biométrique et de l’installation des pointeuses électroniques, Baba Kouyaté soutient que toutes les mesures de consolidation de ces appareils ont été prises et ceci a produit des résultats satisfaisants : « Après la biométrie en 2014, les mesures de consolidation ont été mises en place. C’est-à-dire les pointeuses ont été installées dans tous les services publics. Et je vous apprends que cela a produit des résultats très satisfaisants. Le ministère a même obtenu après 300 pointeuses qui ne sont pas encore opérationnelles. Un élan avait été amorcé avec ces appareils quand la pandémie Covid-19 a fait son apparition. Le ministre, pour éviter la propagation de la maladie a jugé nécessaire de mettre de côté l’usage quotidien des machines par des travailleurs », nous dit le chargé de la communication avant de poursuivre : « Après le covid-19, nous allons adopter une nouvelle méthode pour gagner en temps au niveau des pointeuses. Désormais tout pointage qui se fera par un agent se retrouvera immédiatement dans la base de données de la Fonction Publique. A partir d’ici on saura le nombre de présents et d’absents ».
Du recensement biométrique des fonctionnaires
Poursuivant, Baba Kouyaté va nous annoncer que le recensement a eu des résultats probants comme quoi, de 2014 à aujourd’hui, le ministère à travers le recensement, a pu toucher les couches vulnérables et sensibles telles que les retraités. « Le recensement biométrique nous a permis de détecter les abandons de postes, les décès et surtout les cas de doublons et des retraités. Le croisement de nos fichiers avec la Caisse de Nationale de Sécurité Sociale. On a constaté que certains fonctionnaires travaillent à la fois dans les banques privées et dans les ministères. Ce double emploi a été détecté et nous allons continuer à dénicher des faux fonctionnaires. Je vous apprends aussi que le premier recensement de 2014 nous a permis d’engranger 34 milliards de nos francs. C’est avec cet argent qu’on a financé la biométrie additionnelle de 2017. Donc voyez-vous les efforts fournis ? Le ministère ne dort pas sur ses lauriers », conclut notre interlocuteur.
Les causes des retards et des absences
Ici, il faut citer, au premier abord, les mauvaises conditions dans lesquelles travaillent certains fonctionnaires. Des locaux souvent rudimentaires, voire insalubres ; des moyens bureautiques faisant cruellement défaut, ce qui entraîne un blocage de l’élan professionnel chez certains fonctionnaires et une sorte de haine du poste de travail. On note également la mauvaise gestion du personnel, notamment la définition imprécise des tâches et des responsabilités, et la faible incitation financière qui poussent certains fonctionnaires à l’exercice d’activités lucratives parallèles, conduisant inéluctablement à leur absentéisme. En outre, pouvons-nous citer encore l’absence de mécanismes de contrôle et de reddition des comptes et même le système d’emploi à vie dans l’administration publique. En effet, dans ce système, le fonctionnaire y entre pour y rester jusqu’à l’âge de la retraite.
De ce fait, l’agent public jouit de la sécurité de l’emploi qui implique la promotion, les avancements et le classement, la sécurité du salaire et l’admission à la retraite. Ce sont là autant de prérogatives dont bénéficie le fonctionnaire guinéen contrairement à son homologue du secteur privé. La prise de conscience de cette stabilité crée chez le fonctionnaire des attitudes négatives et l’installe dans une certaine facilité et un certain manque de dynamisme et de rendement.
Aussi, un point essentiel à ne pas omettre est que si les Guinéens font ce qu’ils veulent à la fonction publique, c’est parce qu’ils n’assument pas les conséquences de leurs comportements. S’il est vrai que des remèdes ont été tentés ici et là, ceux-ci ont été sans effets durables. Aujourd’hui, tout porte à croire que l’Etat a fui ses responsabilités en feignant de ne rien voir quant à l’absentéisme et au retard. Les textes juridiques existants sont appliqués et bafoués face aux entorses portées à l’éthique professionnelle. Les autorités, c’est-à-dire les ministres et autres inspecteurs d’État semblent s’être enfermés dans un certain laxisme. Voilà donc la racine du mal. Car ce laisser-aller de la part de l’Etat ne fait qu’empirer la situation.
Et enfin pour ce qui concerne toujours les raisons du retard, il faut mentionner les moyens de déplacement dans la ville de Conakry où le centre administratif est situé à des kilomètres des quartiers résidentiels. Pour qui connaît le nombre d’embouteillages il y a lieu de comprendre ces retards répétitifs des travailleurs à leurs lieux de service. Le manque de moyens de transport aidant, les travailleurs ont des difficultés à arriver à temps dans leurs bureaux.
L’absentéisme peut aussi provenir de motifs professionnels ou personnels.
Au niveau professionnel, les problèmes suivants peuvent être rencontrés : une mauvaise ambiance, ou une situation de stress peut conduire à un environnement professionnel défavorable, les maladies professionnelles telles que les accidents du travail. Les problèmes personnels peuvent aussi rejaillir sur l’activité professionnelle : l’environnement familial, notamment des soucis avec la maladie d’un membre de la famille ou des problèmes de santé non liés au travail,
Comme l’a dit Albert Einstein, “un problème sans solution est un problème mal posé”. Ayant maintenant posé succinctement les causes de l’absentéisme, nous pouvons nous intéresser aux conséquences et aux solutions.
Conséquences et solutions du retard ou de l’absentéisme au service
L’absentéisme peut vite devenir problématique pour le service, et générer de nombreux problèmes : affaiblissement de la productivité et de la performance du service dû au retard, au manque de qualité, aux mauvais services. Cela peut affecter les équipes de travail et la motivation générale des autres salariés. Le service se voit forcer de réorganiser les collectifs de travail pour combler les absences, souvent à la dernière minute, la charge de travail doit être redistribuée, en répartissant les tâches du salarié absent à d’autres salariés, ce qui n’est pas toujours apprécié. Il faut savoir que l’on estime le coût moyen annuel de l’absentéisme au travail en Guinée à des milliards de francs guinéens. Alors comme solution, il faut rester à l’écoute des fonctionnaires, des représentants du personnel, cela peut dans la mesure du possible, améliorer les conditions de travail. Il faut aussi motiver les travailleurs, et surtout renforcer les moyens de transports. Ceci peut limiter l’absentéisme. Surtout rester ferme et sanctionner.
Il est aussi temps de remettre en place des pointeuses horaires à l’entrée de toutes les administrations. Bien que ces dispositions soient à encourager, celles-ci ne sauraient suffire. Une réforme plus globale de l’administration publique doit être envisagée, laquelle doit reposer sur un certain nombre de principes. D’abord, le principe de transparence qui inclut la redéfinition claire des tâches et la délimitation des responsabilités des uns et des autres. Car le chevauchement des responsabilités est l’ennemi de la reddition des comptes. Ensuite, le principe de responsabilité, qui doit mener à la contractualisation pour que le fonctionnaire assume les conséquences de son choix en cas de non-respect de ses engagements. Enfin, les principes de résultat et celui de subsidiarité devront être également pris en compte. Le premier aura pour conséquence la redéfinition des mécanismes d’évaluation et de la rémunération du résultat pour mieux inciter les fonctionnaires à la performance. Quant au second, il est fait pour améliorer la qualité des prestations administratives et surtout faciliter le contrôle par les citoyens des services.
Aujourd’hui, face à la longue litanie des maux qui gangrènent notre administration, il semble que leur modernisation n’est plus un choix, mais une nécessité qui s’impose en raison de la crise des finances publiques, des demandes croissantes de la population et de la mondialisation de l’économie.
Pour le secteur public donc, la lutte contre l’absentéisme et des retards servent non seulement le principe constitutionnel de continuité du service public, mais il favorise aussi le bon fonctionnement et la qualité du service rendu au public. Elle constitue un enjeu majeur en matière de dépense publique et un gage de la bonne utilisation des ressources publiques.