Rencontre Alpha-Mamadou Sylla : dans les coulisses d’un entretien de vérité (Interview avec Mamadou Baadiko)
Au lendemain de la première rencontre entre le chef de l’État et le cabinet du chef de file de l’opposition, nombreux sont les curieux qui s’interrogent sur ce qu’ils se sont dit au palais Sèkhoutouréyah. Et bien, en toute exclusivité, le leader du parti UFD, Mamadou Baadiko Bah, député à l’assemblée nationale revient sur l’essentiel de cet entretien de plus d’une heure dans une interview qu’il a accordée dans la soirée de ce mercredi.
Mosaiqueguinee.com : De quoi a-t-il été question avec le président Alpha Condé ?
Baadiko : Je crois qu’il faut préciser le cadre de cette importante rencontre. Il s’agissait d’une prise de contact entre le chef de file de l’opposition accompagné d’une délégation de ses conseillers et le chef de l’Exécutif. Il s’agissait de baliser le cadre des relations entre le pouvoir et l’opposition. Ce n’était pas un échange et encore moins un dialogue. Des deux côtés, chacun a exposé son point de vue et a pris note du message de l’autre partie.
Mosaiqueguinee.com : Que contient le memo que vous lui avez déposé ?
Baadiko : Le mémo contient toute l’approche de l’opposition pour résoudre les différents problèmes auxquels le pays fait face actuellement. Malheureusement, il ne m’appartient pas de divulguer le contenu de ce document remis au président de la République. Mais ce sera fait en temps opportun par le chef de file lui-même.
Mosaiqueguinee.com : Avez-vous discuté de la question des opposants détenus à la maison centrale ?
Baadiko : Cette question fait partie de nos préoccupations premières. Elle a été abordée dans le mémo, car la rencontre n’était pas une conférence entre les deux parties.
Mosaiqueguinee.com : Qu’en est-il du budget du chef de file de l’opposition ?
Baadiko : Cette question avait été abordée lors de notre rencontre avec le Premier ministre. Celui-ci avait indiqué la voie à suivre pour la résoudre.
Mosaiqueguinee.com : Avez-vous évoqué le dialogue politique avec le président Alpha Condé ?
Baadiko : En fait, c’est le chef de l’État qui a abordé cette question. Il a dit qu’il y tient et qu’ils sont entrain de travailler sur les questions liées à son organisation. Il a indiqué que le Premier ministre est chargé de son pilotage et qu’il compte permettre à tous les acteurs socio-politiques du pays de venir exposer leurs points de vue sur toutes les questions relatives à la vie du pays. Il a annoncé la tenue d’états généraux de la santé, de la justice, etc.
Mosaiqueguinee.com : Quelles sont les autres questions qui ont été abordées avec le locataire du palais Sèkhoutouréyah ?
Baadiko : Là je vais en arriver au long discours du président de la République au cours duquel il a abordé énormément de problèmes et donné sa position. Je dois vous dire que moi, j’ai écouté attentivement son discours…
- Il dit être fermement engagé pour amener tous les citoyens à respecter désormais la loi. Sur cette position, nous n’avons aucune remarque particulière à faire. Il faudrait simplement que la loi s’applique à tous les citoyens, indépendamment de leur position sociale et politique. L’impunité sur les violations des droits humains, les détournements des deniers publics, doit cesser au même titre que les délits de toute nature commis par les citoyens. La loi ne doit pas être appliquée de façon sélective, comme c’est le cas maintenant. Il ne peut y avoir de crime ou délit sans coupable. Il a d’ailleurs dit qu’il vient de faire arrêter des gendarmes à gage, impliqués dans une opération d’expulsion illégale de pauvres citoyens.
- Sur les libertés, il a dit qu’il ne tolérera pas les atteintes à la sûreté de l’Etat. Par contre, il ne fait pas de problème pour des gens qui s’attaquent à sa personne. Sur ce point, il faut dire qu’il y a quand même, en ce moment des gens en détention pour offense au chef de l’Etat. Dans tous les pays du monde, il existe des lois protégeant le chef de l’Etat contre les injures, la diffamation ou les atteintes à l’honneur, mais il ne faudrait pas que cette loi soit appliquée de façon illimitée, par amalgame, pour neutraliser des opposants.
- Mise au point très intéressante : il a rappelé que le fait qu’il y ait le dialogue avec l’opposition ne veut pas dire qu’il y a un partage du pouvoir. Il se dit prêt à examiner toutes propositions, pour le bien du pays, mais c’est le pouvoir qui gouverne et conduit la politique à appliquer et qui en assume la responsabilité face au peuple et nous n’en attendons pas moins.
- Il a touché beaucoup de points d’histoire de la Guinée. Pour ce qui me concerne personnellement, il a rappelé nos luttes communes lorsque nous étions dans la FEANF et que nous étions à la fois opposés à la dictature sanguinaire du PDG et le Front de Libération Nationale de Guinée, organisé par des opposants guinéens, avec le soutien des services secrets français. Ce qu’il n’a pas dit, c’est que notre position était très difficile, car il fallait faire face à la fois aux innombrables agents de Sékou Touré en France et les services secrets français. Dans son discours il a réaffirmé le fait historique que le régime de Sékou Touré a effectivement eu à faire face à des complots venant de la France, mais il en a inventé pleins d’autres pour éliminer des innocents injustement accusés d’être une « Cinquième colonne ». Malgré la position de la FEANF, il a rappelé que lui et le Pr Alfa Ibrahim SOO, premier président de l’UFD, avaient été injustement condamnés à mort par le régime dictatorial du PDG.
Il a déploré le fait qu’en Guinée, à chaque changement de régime, on ne cherche pas à prendre ce qui était positif pour rejeter ce qui est mauvais pour le pays. On jette ainsi le bébé avec l’eau du bain. C’est l’exemple du démantèlement des industries du parc public après 1984 et qui ont été bazardées à des repreneurs, complices du pouvoir à l’époque du Général Lansana Conté. Évidemment, toutes ces industries ont disparu par la suite.
Mosaiqueguinee.com : Êtes-vous satisfaits de cette première rencontre du cabinet du chef de file de l’opposition avec le chef de l’État ?
Baadiko : Nous sommes allés à la rencontre avec le chef de l’État, notre satisfaction ne se mesure pas qu’aux discours, nous en avons eu plusieurs depuis 2010. Si ce qui a été dit venait à être mis en application, nous ne pourrons que nous réjouir. L’absence de dialogue sincère, n’a jamais permis à un pays qui connait autant de problèmes que la Guinée, d’avancer.
Mosaiqueguinee.com : Sur quoi se fonde votre espoir de voir la situation évoluée positivement en faveur des populations ?
Baadiko : Notre espoir ne peut se reposer que sur des faits, uniquement des faits, le chef de l’État a promis d’écouter les propositions de l’opposition, dont le rôle est de dénoncer, critiquer ce qui ne va pas et de proposer des solutions pour le bien de la population. Nous allons faire notre part de travail et ensemble nous verrons bien s’il y a motif à espérer.
Mosaiqueguinee.com : Un dernier mot ou si vous avez quelque chose d’autres à ajouter pour agrémenter cette interview
Baadiko : Eh bien ! Dernière chose que j’ai retenue : il a réaffirmé avec force qu’il n’y a jamais eu de coup d’Etat en Guinée. Tous les changements politiques se sont produits après la mort du chef de l’Etat…Pour nous qui dirigeons de partis politiques ayant pour ambition d’accéder à la tête de l’Etat, nous prions le bon Dieu de ne pas subir le sort des pauvres opposants qui ont presque tous eu la bonne idée de mourir avant Lansana Conté…Nous espérons avoir la même chance que le président Alfa Kondé lui-même, presque seul survivant de ce groupe..
Plus sérieusement, il faut dire que, les présidents à vie, sans jamais d’alternance, font partie du plus lourd passif que traîne notre pays depuis 1958 et qui en fait l’un des pays les plus attardés et les plus corrompus d’Afrique.
Mosaiqueguinee.com : Enfin, quelle analyse l’UFD fait de la situation politique, sociale et économique de la Guinée ?
Baadiko : Pour nous, tant que nous ne trouverons pas l’équilibre institutionnel permettant de remettre enfin tout le peuple de Guinée au travail pour son bonheur et qu’on sera installé dans ces systèmes dictatoriaux et répressifs, cette instabilité chronique qui dure depuis 1958, la misère du peuple, l’appauvrissement du pays et l’explosion des injustices sociales, ne feront que s’aggraver. Le système fédéral est pour nous le mieux indiqué pour sortir du tout politique, ces affrontements fratricides avec pour seul enjeu de savoir qui va avoir le pouvoir pour en profiter avec ses parents et amis. C’est ce qui permettra au pays de tourner ces pages dramatiques et de travailler ensemble, la main dans la main, pour rattraper le temps perdu.
Merci à vous Monsieur le président du parti UFD
Je vous remercie.